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Trottinette : le fiasco est dans l’essence même du service

Une consultation a décidé avec 90 %: il n’y aura plus de trottinettes électriques en libre-service à partir du 1er septembre dans la ville de Paris. Le constat peut sembler implacable mais le vote ne représente que 7,4 % des personnes pouvant voter. Cependant, de nombreuses problématiques font qu’il n’y avait finalement que très peu de suspens.

Un terrain social peu occupé

A Paris uniquement, les mentions concernant la trottinette n’ont eu que très peu de traction. La plupart sont des faits divers problématiques, des usages ou des vols privés de trottinettes. Sur Twitter, uniquement dans les personnes étant d’Ile-de-France, et ce depuis septembre 2022, les conversations sont non structurées, non organisées et peu mobilisées.

C’est surtout sur Tik Tok que la campagne a fait parler. En cause, des vidéos effectuées sur Tik Tok par des influenceurs pour influencer le vote. Le tout dans un contexte de régulation du marché des influenceurs.

“Cela pose question sur le rôle de ces influenceurs dans une démocratie, qui ne sont pas du tout encadrés ni régulés, et des moyens mis sur la table par des entreprises privées pour peser sur le résultat d’un vote” explique à BFM TV David Belliard, adjoint à la maire de Paris en charge des mobilités. Or, il est tout à fait logique qu’une entreprise cherche à mobiliser les personnes sur un vote qui la concerne et qui peut avoir droit de vie ou de mort sur elle.

La mairie de Paris veut donc un débat démocratique sur un sujet dans lequel elle pose la question de la mort d’une entreprise privée, mais qu’elle ne puisse pas intervenir dans ce débat. Les entreprises et les lobbies sont des membres important de la démocratie et ne sont pas en dehors de celle-ci. Cela n’a donc aucun sens. Au contraire, l’exercice de transparence dans le fait d’assumer faire appel à des influenceurs sur le sujet devrait être loué. (Lime a assumé être derrière la campagne)

Le local plus important que le national

Si l’activité nationale sur les trottinettes est extrêmement légère dans le sens où très peu de discussions politiques sous forme de questions ou de projets de loi dans les statistiques législatives, la ville de Paris, au local, a démarré les hostilités.

La décision fera clairement tache d’huile sur d’autres villes qui pourraient rejoindre le mouvement. Politiquement, c’est essentiellement la question de la sécurité qui est soulevée avec de nombreux faits divers amenant une attention très fortement centrée sur les médias et les journalistes. Les conversations politiques sont également très concentrées sur le PS et la ville de Paris.

Une industrie qui a raté sa social license to operate

Le modèle ci-dessous, créé pour des contextes miniers par Boutilier et Thomson illustre quelque peu la défaillance de l’industrie de la trottinette à obtenir une licence sociale d’opérer tant elle cumule toutes les problématiques en la matière.

La légitimité économique nécessaire pour s’établir connait quelques défaillances. (Euphémisme) En effet, la rentabilité est difficile tant la concurrence est rude pour Lime, Bird, Tier, Dott, et Voi. Les principales problématiques sont la concurrence forte, la faible demande, la réglementation qui devient trop difficile à contourner et des structures de coûts compliquées. Bird a récemment licencié un tiers de ses effectifs. Lime a annoncé avoir enfin été profitable durant l’année 2022. De plus, les employés qu’on appelle les “juicers” sont rémunérés au lance-pierre avec une rémunération de 5 à 10 euros par trottinette. Au final, le secteur n’emploie aucune personne avec des emplois durables, ne fait pas de bénéfice et a un tarif non social tant son utilisation est clairement chère si l’on compare avec des alternatives ou par le simple achat d’une trottinette électrique personnelle.

La légitimité socio-politique est également totalement hors clous. Ces services remplacent des trajets courts pour lesquels il était de coutume de marcher. Son utilité de transport est dès lors remise en question. De la même façon que la grosse hausse des accidents mortels, (augmentation de 177% entre août 2021 à juillet 2022) mais aussi par le côté environnemental où les trottinettes ont un impact environnemental bien supérieur au métro, mais inférieur à la voiture. De plus, le vandalisme autour des trottinettes fait qu’il y a de nombreux dépôts illégaux, et il devient difficile à gérer à l’échelle d’une ville. Enfin, dans la négociation de l’espace public, les trottinettes ont considérablement gêné de par le fait que des utilisateurs roulaient à très forte vitesse sur les trottoirs et étaient mal garées à même la rue.

La confiance interactionnelle : le bulletin ne sera guère meilleur tant les startups du secteur ont avancé en faisant fi des réglementations à l’oeuvre. “C’est une vieille tactique de certaines entreprises high-tech arrogantes: elles préfèrent demander pardon plutôt que de demander l’autorisation“, déplorait Aaron Peskin dans un article de L’Echo.

Ne jamais surestimer son camp

Au vue de ces piliers, il était assez clair de l’issue. Surtout qu’il ne faut jamais surimaginer la capacité de ses propres clients à devenir des supports ou à faire preuve d’activité pour défendre un produit de leur utilisation. 103 084 Parisiens ont voté alors que 400 000 personnes seraient utilisatrices selon un communiqué des principales sociétés de trottinette. Mais au final, ca n’est pas cet écart qui cause la mort des trottinettes, c’est son incapacité à valoriser son utilité sociale en préemptant les vrais sujets : la sécurité, les usages de ses utilisateurs, l’apport économique et son utilité de mobilité.

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