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L’industrie du porno, une industrie renégate impossible à réguler ?

L’Arcom secondé par le Conseil Français des Associations des Droits de l’enfant (Cofrad) et l’Observatoire de la Parentalité et de l’Éducation Numérique (Open) s’est attaqué aux industries pornographiques. Celles-ci pourraient être interdites devant les tribunaux. Cela met en lumière la difficulté pour l’industrie pornographique de pouvoir faire valoir ses intérêts. Revue des difficultés d’un secteur à pouvoir manoeuvrer et assurer sa licence sociale d’opérer.

La pornographie n’est pas considérée comme une économie renégate dans la mesure où leurs deux droits sont respectés : elles ont le droit de fonctionner (à l’instar de la prohibition) et le droit d’exister.

Ces dimensions sont parfaitement résumées dans un article de recherche sur les stratégies de légitimation des organisations renégates écrit par Philippe Monin et Grégoire Croidieu. Ceux-ci énumèrent 4 types de stratégies de légitimation et en les appliquant à l’industrie pornographique, on se rend compte qu’elle déploie toutes celles-ci :

  • Les stratégies d’invisibilité (secret, obscurcissement et révélation) : la pornographie ne cherche habituellement pas à être très visible à tous les échelons de la société. Dernièrement, c’était un peu moins le cas. Marc Dorcel a fait plusieurs campagnes de publicité il y a quelques années avec des accès gratuit. Tel qu’un pari en cas de qualification des bleus ou encore une campagne “Sans les mains” où l’on pouvait consulter de la pornographie gratuitement si on laissait appuyer certaines touches. De même, Pornhub publiait chaque année des études statistiques sur les habitudes pornographiques dans les différents pays. Enfin, Jacquie et Michel s’était de plus en plus imposé dans la culture populaire allant jusqu’à faire connaître son “merci qui ?”. En 2014, l’entreprise tumultueuse remise en question était même tweetée par des comptes tels que SNCF Connect & Tech. Récemment, par contre, les coulisses du secteur ont fait l’objet d’un documentaire sur Netflix tandis que Jacquie et Michel a fait l’objet d’enquête sur les violences sexuelles en oeuvre chez certains producteurs. Et toutes ces communications ont disparues, pour revenir une industrie secrète, dont presque personne ne parle, surtout pas eux.
  • Les stratégies discursives (dénégation et cadrage) : la pornographie se défendra toujours dans le discours en faisant croire qu’elle est consultée et vue par tout le monde. Attaqué de toutes parts, le PDG de Jacques et Michel dans un courrier soulignait que “Le rôle de diffuseur que nous avons a créé un amalgame et nous avons hâte de pouvoir l’expliquer aux enquêteurs afin de montrer le sérieux de nos entreprises et la volonté féroce que l’industrie pour adultes soit tout aussi respectable et respectée que toute autre industrie”. L’industrie tente également de donner d’autres formes de pornographique avec de la pornographie “inclusive”, “féministe” ou “éthique”.
  • Les stratégies politiques (lobbying et philanthropie) : en dehors d’un lobbying établi comme toute autre industrie, la philanthropie n’est pas réellement mobilisée par le secteur. Tout juste, on peut noter le cas de Phil Harvey, businessman actif dans la pornographie qui utilisait sa fortune pour promouvoir la contraception et la planification des naissances dans les pays en voie de développement.
  • Les stratégies de découplage entre activités légales et illégales. De manière légale, principalement des entreprises respectant des règles et affichant un professionnalisme. Derrière le rideau, des viols, des tortures, de la déshumanisation ou de l’extorsion sont à l’oeuvre selon un rapport du sénat publié en septembre.

Bref, on voit bien que le secteur agit comme un secteur qui se bat pour sa survie et sa légitimité sociétale avec des stratégies qui se retournent contre lui.

Le grand public : peu de défenseurs

Et donc c’est tout à fait normalement que l’on remarque que l’actualité ne mobilise pas les foules. Tout au plus 1240 mentions depuis janvier 2023, et ce principalement pour le fait que la CNIL ne s’est pas opposée à l’analyse faciale pour estimer l’âge. Cette position illustre la principale difficulté : on exige de contrôler l’âge des mineurs qui se rendent sur un site Web, mais la CNIL ne fournit pas la solution idéale. En effet, l’analyse faciale est également une solution inefficace pour évaluer l’âge d’un utilisateur (quid des personnes semblant jeunes ou autres ?)

Dans les communautés à l’oeuvre, on remarque juste un ensemble médiatique et une communauté technologique qui voit le porno comme une porte ouverte sur des sujets connexes. (reconnaissance faciale, réglementation d’internet, etc.)

Les politiques : aucun défenseur

Du côté des politiques, de nombreuses interpellations pour une éducation à la sexualité pour les jeunes à l’école du côté de Renaissance tandis que LR est très actif pour un contrôle effectif de l’accès des mineurs aux sites pornographiques gratuits en France. Enfin, du côté de chez le RN, l’activité est en rapport avec des amendements sur la loi sur les influenceurs. La gauche est pour sa part relativement très absente.

Le traitement en termes de mots-clés est également très peu flatteur :

Conclusions

On le voit donc. L’industrie du porno agit déjà comme une organisation illégale dans ses stratégies. Elle a en effet difficile à pouvoir se faire une place dans un contexte où la société civile ne supporte que la pornographie ne devienne pas une première pierre pour un Web régulé. Politiquement, l’industrie est également esseulée avec un silence de gauche, une droite très offensive et un parti gouvernementale plaidant pour une éducation sexuelle hors pornographie. Toutefois, il y a de sérieux arguments rationnels en faveur de l’industrie sur cette question juridique :

  • Un tiers des sites visités ne sont pas concernés par la liste de l’Arcom selon une étude de la la revue internationale Policy & Internet. Cela créerait dès lors une distorsion de concurrence.
  • La Cnil ne propose aucune solution technique en dehors de la potentielle reconnaissance faciale qui est elle-même balbutiante et peu évidente.
  • Des alternatives existent à l’échelle des parents pour protéger leurs enfants comme le contrôle parental.

Par ailleurs, les VPN proposeront facilement de passer outre. Bref, il faudra attendre juillet 2023, mais si l’industrie du porno a toujours su innover avant d’autres secteurs, on doute de sa capacité à répondre à une problématique compliquée. Signe qu’un problème n’a pas toujours sa solution et que le Web reste un espace compliqué à réguler.

Dans une précédente version de notre article publié le 13 avril, MARC DORCEL a été mentionné par erreur comme faisant l’objet d’enquête. Ni le groupe DORCEL ni ses dirigeants n’ont fait l’objet d’enquête et ils ne sont aucunement impliqués dans les affaires judiciaires en cours dites « French Bukkake » et « Jackie et Michel » au sujet de violences sexuelles dans le milieu pornographique amateur ». Pour nous il s’agissait d’enquêtes journalistiques. Afin d’être plus en adéquation avec la réalité, nous avons supprimé le passage.

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