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La désinformation sème le trouble en plein conflit soudanais

Aussi complexe soit-elle, l’histoire du Soudan est marquée par de nombreux conflits au cours du XXème siècle. À travers les rébellions et l’indépendance du Soudan du Sud en 2011, l’État soudanais enregistre un climat politique instable depuis des décennies. 2023 vient marquer un nouveau chapitre de l’histoire du pays avec le début d’un conflit armé le 15 avril opposant les Forces de Soutien Rapide (FSR) sous l’égide de Mohamed Hamdan Dogolo au chef d’État Abdel Fattah al-Burhan.

À l’heure d’un monde quasi entièrement connecté, les réseaux sociaux s’avèrent être un outil très prisé en temps de guerre. À l’image de propagation de fausses informations en pleine guerre ukrainienne, le conflit soudanais n’est, lui non plus, pas épargné par la désinformation.

Dès lors, la désinformation sur les réseaux sociaux revêt-elle un intérêt stratégique en temps de conflit ? Pour répondre à cette question, nous avons analysé les tweets en anglais sur le conflit.

Des acteurs assez peu connectés entre-eux

Avant de rentrer dans les désinformations, signalons que les acteurs sont relativement peu connectés entre eux. En effet, de façon générale sur le conflit, trois principaux clusters d’informations se dégagent sur twitter, comprenant une sphère anglophone, une sphère Afrique et Moyen Orient, ainsi qu’une Tigréenne.

En regardant de plus près au sein de chaque sphère, la communauté Afrique – Moyen Orient est principalement orientée autour des médias, de la politique et de la guerre avec une présence influente des Forces de Soutien Rapide et d’Hemedti. Leur présence est organisée autour d’un communiqué de la FSR, soutenu par Mohamed Hamdan Dogolo, démentant la présence du groupe paramilitaire Wagner aux côtés de celle-ci. La communauté anglophone se compose majoritairement de journalistes et de spécialistes anglais, américains et canadiens.

1. Utilisation de Twitter Blue

Le 20 avril, soit 5 jours après le début du conflit, un utilisateur de Twitter a profité de l’aubaine de la réforme des comptes certifiés par Elon Musk pour renommer son compte en « Rapid Support Forces Official », en changeant également son handle en « @RSFSudann ». Il a ensuite payé la certification et publié un communiqué annonçant le décès d’Hemedti (Mohamed Hamdan Dogolo) au combat. Le tweet a été vu plus d’1 million de fois avant d’être supprimé.

2. Sock Puppeting

Le sockpuppet est le fait d’user de fausses identités et est généralement assez utilisé dans des contextes de désinformation et d’influence numérique. Le conflit au Soudan n’y a pas fait exception. Plusieurs comptes inactifs depuis plusieurs années (près de 10 ans pour certains) qui sont réactivés le 17 avril dernier à des fins de propagande. Ces comptes ont pour la plupart publié un seul tweet exprimant leur rattachement aux Forces de Soutien Rapide avant d’avoir été suspendu sur Twitter :

3. Vidéos de jeux vidéo ou anciennes réutilisées

On a également vu un dispositif habituel : des vidéos provenant du jeu vidéo Arma 3 font surface plusieurs fois sur Twitter afin de témoigner de la violence du conflit soudanais.

Toujours dans la continuité de la désinformation, certaines publications reprennent des contenus issus de précédents conflits internationaux. Des vidéos de soldats éthiopiens du Gambela maltraitant des civils, datant de juin 2022 sont réutilisées afin de les faire passer pour des Soudanais et d’aggraver le conflit sur les réseaux.

On retrouve par exemple cette autre vidéo publiée le média Crash Report (222k followers) témoignant de l’intensité des combats au Soudan :

Le tweet enregistre une audience conséquente alors qu’il s’agit en réalité d’une vidéo disponible sur Youtube sous le nom « Targeting Houthi leaders and operation rooms in Yemen », publiée le 1 juin 2020. On retrouve ici notre logique de décontextualisation et de recontextualisation d’un message permettant de peser négativement sur l’opinion publique.

Même chose pour une vidéo rassemblant là aussi beaucoup de retweets et de partages :

La vidéo n’est pourtant pas neuve puisqu’on retrouve une trace du 24 novembre 2022 :

Au final, on remarque que les techniques sont relativement peu nouvelles, mais que les nouvelles règles et algorithmes de Twitter ont un effet nouveau et exponentiel sur les désinformations. Signe que Twitter n’a pas fini de devoir réfléchir à son nouveau modèle et que Twitter a encore de larges marges de progression.

Une étude réalisée par Valentin Benoit.

Annexes de définition

La désinformation renvoie à la dénaturation initiale d’une information en vue d’en faire un message stratégique erroné et biaisé.

Celles-ci sont également définis par la commission Bronner comme « contenu d’information ou ensemble de contenus d’information faux ou inexact(s), crée(s) avec l’intention délibérée d’induire les gens en erreur »[1].

La décontextualisation et la recontextualisation du message par la suite, permettent après publication, d’influencer l’opinion publique. La commission Bronner la définit comme un « contenu d’information fabriqué de toute pièce ou extrêmement inexact sur internet et mis en forme de manière à ressembler à un contenu d’information grand public légitime ».

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